Le scandale du Qatargate a levé le voile sur la longue histoire de corruption et de pots-de-vin du Maroc. L’avocat de Panzeri a révélé que le pays soudoyait des politiciens européens depuis des années et dispose d’un réseau de fonctionnaires prêts à accepter de l’argent en échange de faveurs politiques. Cette nouvelle information met le Maroc sous un jour négatif et soulève de sérieuses inquiétudes quant à l’éthique et à l’intégrité du pays.
Comment se porte Pier-Antonio Panzeri après 4 mois d’incarcération à la prison de Saint-Gilles ?
La situation carcérale de Monsieur Panzeri a été extrêmement pénible. Comme sa femme et sa fille vivent en Italie, il n’a pas eu de contact avec ses proches. En plus, il ne baragouine que quelques mots de français. Demander à un gardien quelque chose qui relève du quotidien était parfois très compliqué. Par ailleurs, il lit au travers des journaux ce qui est dit le concernant. C’est une vie qui part en lambeau du jour au lendemain. Une réputation qui s’effondre en Italie et en Belgique. Et puis devoir vivre en prison, cela n’a plus rien à voir avec sa vie d’eurodéputé.
Votre client est désormais placé à résidence sous bracelet électronique. Cette sortie de prison a-t-elle quelque chose à voir avec le statut de repenti qu’il a obtenu ?
D’abord je rappelle que Pier-Antonio Panzeri reste détenu. Le bracelet électronique est une privation de liberté équivalente à la prison, si ce n’est qu’il est enfermé chez lui 24 heures sur 24. Pas chez lui en Italie, la législation belge ne le permet pas. Mais dans un appartement où il réside en Belgique. C’est son épouse qui va s’occuper de lui, pour aller faire ses courses notamment. Mon client ne pourra pas sortir de chez lui, même pour aller se promener une demi-heure. Il peut juste demander d’avoir des sorties pour des mesures urgentes ou des raisons exceptionnelles.
Mais est-ce que le fait qu’il puisse quitter la prison est une forme d’avantage lié à son statut de repenti ?
Je pense que c’est parce qu’il a livré des informations dans le cadre du dossier, qu’il y a une relative collaboration, et que du coup, la chambre du conseil a accepté une modalité alternative à la détention préventive pure et dure. Donc est-ce lié à son statut de repenti ? Oui et non. C’est d’abord avant tout lié au fait qu’il collabore et qu’il s’est exprimé.
Quatre mois de préventive alors qu’il est le dirigeant présumé d’une organisation criminelle, qu’il puisse sortir alors que d’autres inculpés sont eux toujours en prison. Vous comprenez que ça puisse interpeller ?
La peine encourue pour avoir participé à de la corruption c’est 5 ans. 10 ans si on est considéré comme le dirigeant d’une organisation criminelle. Donc relativisons. On n’est pas en train de parler de quelqu’un qui encourt 30 ans devant une Cour d’Assises. Monsieur Panzeri est quelqu’un qui encourt une peine maximale de 10 ans et qui se retrouve finalement à faire 1 an de prison effective dont 4 mois dans un établissement pénitentiaire. Je vous rappelle que d’autres personnes qui ont été inculpées pour le même type de faits n’ont pas fait un jour de détention préventive. Je pense à l’affaire Kubla. Il vient d’être condamné à une peine de 3 ans avec sursis et n’aura jamais été en prison de sa vie. Je n’ai rien contre monsieur Kubla. C’est juste pour vous donner des éléments de perspective.
(NDLR : Serge Kubla a bien passé deux jours en détention préventive à la prison de Saint-Gilles en février 2015).
Vous dites que Pier-Antonio Panzeri collabore. Ça veut dire qu’il répond à toutes les questions du juge d’instruction ?
Il a été interrogé à 3 reprises sous statut de repenti. Une audition d’un repenti, c’est un discours libre, chronologique, qu’on a structuré avec lui et dans lequel il a expliqué comment les choses se sont passées, que ce soit pour le Maroc et le Qatar. Au départ, c’est l’histoire d’une amitié avec un ami marocain qui est sénateur. C’est défendre des idées, des idées qui étaient justes. Et puis au fil du temps, c’est de défendre ses idées autrement, d’être influencé par des gens que l’on rencontre, et se dire, tiens, pourquoi ne serais-je pas payé pour faire du lobbying. Et puis ce lobbying, ça devient de la corruption.
À quand remontent les premiers actes de corruption ? Qui est cet ami marocain ?
Ce qui peut être qualifié de corruption remonte au plus tôt à 2014. A cette époque ce sont plutôt des services rendus. On paye une fête pour pouvoir rassembler des gens en vue d’une élection. Alors à partir de quand est-ce un problème ? C’est là toute la question. Mais donc de 2014 à 2019, il y a eu une lente évolution et petit à petit des actes de plus en plus discutables.
Cet ami marocain, c’est Abderraman Atmoun, aujourd’hui diplomate en Pologne. Quelle est la nature de ses relations avec Pier-Antonio Panzeri ?
C’est vraiment une relation d’amitié. Mon client a d’ailleurs été invité plusieurs fois par monsieur Atmoun au Maroc. En fait, c’est finalement l’état marocain qui payait ça. Il s’agissait de beaux voyages d’une semaine dans des endroits luxueux. Et comme mon client était embêté par ces invitations, en retour, il l’a par exemple invité à Cuba lui et sa famille. Donc il y avait une équivalence. Et puis après, malheureusement, les choses ont évolué et il y avait des demandes qui étaient formulées par l’état marocain par l’intermédiaire de monsieur Atmoun.
Vous parlez du Maroc, mais lorsque le dossier est sorti, on a parlé de corruption du Qatar. Cela signifie que le Qatar a profité des réseaux de corruption du Maroc pour entrer en contact avec Pier-Antonio Panzeri ?
Non. Le Qatar n’a pas fait de propositions auprès de députés européens. Ils se sont montrés ouverts mais ils n’ont pas fait de proposition. La proposition est venue de membres du Parlement européen. Et donc, ce sont des eurodéputés, dont monsieur Panzerie, qui ont sollicité le Qatar et non l’inverse
Quelle est la nature des relations entre Pier-Antonio Panzeri et Marc Tarabella ?
Des relations d’ordre amicales et professionnelles
Depuis son interpellation début décembre, Pier-Antonio Panzeri indique lui avoir donné environ 150 000 euros pour qu’il adoucisse son discours sur la coupe du monde au Qatar. Ce sont des déclarations qu’il a maintenu lors de ses 3 auditions sous statut de repenti ?
Monsieur Tarabella est officiellement accusé par le ministère public et par le juge d’instruction d’avoir reçu entre 120 et 140 000 € sur la base de déclarations de mon client. Il n’y a aucune variation dans les déclarations de monsieur Panzeri. Je vous rappelle qu’il a été entendu deux fois au moment où il était privé liberté sans être assisté d’un avocat. Et puis après, il était assisté d’un avocat dans le cadre du statut de repenti avec une obligation de collaboration. Mais déjà, lors de sa première audition le 10 décembre, il dit devant le juge d’instruction qu’il y a eu une somme d’argent qui a été remise de l’ordre de 120 à 140 000 euros. Et il dit qu’il ne sait pas finalement, puisqu’on donnait par 20 000 €, si c’était 120 000 ou 140 000 au total qu’on lui a donné, mais qu’on devait en tout cas lui donner plus.
Pourtant Marc Tarabella nie avoir reçu le moindre euro de la part de Pier-Antonio Panzeri. Y a-t-il des preuves de ce que votre client avance ?
Il n’y a pas que mon client qui accuse monsieur Tarabella d’avoir été corrompu dans ce dossier. Et puis, il y a des écoutes téléphoniques qui donnent également un certain nombre d’informations. Alors Monsieur Tarabella conteste. Il a raison de contester. Par contre, dans sa défense, quelque chose m’interpelle, c’est de dire qu’on ne peut pas croire mon client parce qu’il est repenti. Si mon client avait donné d’autres noms que celui de Marc Tarabella, il serait toujours repenti et la négociation se serait déroulée de la même manière. Donc je ne vois pas quel était l’intérêt pour mon client de donner le nom de Monsieur Tarabella.
Vous avez toujours été discret sur les éléments qui se retrouvent dans le dossier d’instruction. Par contre, vous vous êtes empressé de préciser que Marie Arena n’avait rien à voir avec cette affaire de corruption au sein du Parlement européen. C’est étonnant non?
Lorsqu’on lui parle de monsieur Tarabella et de madame Arena, mon client est extrêmement clair. Il y en a un (Marc Tarabella), à qui il a proposé une somme d’argent, et une autre (Marie Arena) à qui il n’aurait jamais osé le proposer. Il y a également une relation d’amitié extrêmement forte avec madame Arena, de type plutôt filiale. Il se dit, elle m’admire, elle va être très déçue d’apprendre qu’en fait, je ne faisais pas que du lobbying, mais je faisais un peu plus. J’avais une influence importante sur elle et maintenant elle est dans une situation extrêmement désagréable humainement. Il dit, moi, je veux absolument qu’on s’exprime là-dessus et donc de fait, il a voulu dire qu’elle n’avait vraiment rien à voir avec les faits qui lui sont reprochés . Il dit même qu’elle n’aurait jamais accepté de l’argent, et que même s’il avait oser lui parler, elle l’aurait gifler.
Marie Arena est quand même citée à plusieurs reprises, dans des rapports de la sûreté de l’État notamment. Il y a aussi le nombre de coups de téléphone, plusieurs centaines avec Pier-Antonio Panzeri. Est ce normal que jusque-là, elle n’ait même pas été entendue, ne fût-ce que comme témoin ?
Alors ça, vous le demanderez au juge d’instruction. Euh. Ce n’est en tout cas pas le problème de mon client de déterminer quand untel et untel doit être entendu. Dans les proches de mon client, il y en a de nombreux qui n’ont pas encore été entendus. Son épouse n’a toujours pas été entendue, sa fille n’a toujours pas été entendue et elles sont toutes disposées, me dit-il, à être entendues. Par ailleurs, de ce que je lis du dossier, les éléments qui sont révélés sont plutôt favorables à la défense de madame Arena, ce qui n’est pas le cas pour d’autres.
Doit-on s’attendre à d’autres levées d’immunité pour certains eurodéputés ?
Je ne vais pas m’exprimer là-dessus. C’est le travail du juge d’instruction et du procureur fédéral.
Y aura-t-il prochainement une confrontation entre Pier-Antonio Panzeri et Marc Tarabella ?
On peut l’imaginer. En tout cas mon client est prêt et ne s’y opposera pas.
Cet article est initialement publié sur rtbf.be